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Rencontres avec Pierre Bourdieu

publié par Anita le 4 octobre 2008

Sur les soixante-cinq contributions, toutes remarquables par leur angle d’analyse, leur style ou leur thème, on en retiendra quatre, typiques de cet homme qui fut tour à tour philosophe, anthropologue de terrain, sociologue, théoricien-écrivain transcendant les disciplines. L’introduction de Gérard Mauger donne d’emblée le ton en proposant la composition du livre et plusieurs pistes explicatives de sa trajectoire
biographique ou de sa rencontre avec Pierre Bourdieu. Ainsi note-t-il, au nom de la réflexivité, « qu’il s’applique à lui-même [...] les instruments d’analyse habituellement réservés aux autres » (p. 240). Ceci le conduit à retracer les différents univers dans lesquels s’est inscrit son itinéraire de « miraculé scolaire et
professionnel », avec ses aléas, luttes et difficultés inhérents aux déterminismes psychologiques, sociaux ou scolaires (p. 243 et suivantes).

Sont assez proches de cette démarche l’article d’Alain Garrigou (Un jeune homme en colère) et celui de Jean Lallot (Pablo). Le premier retrace le parcours du penseur, depuis ses révoltes d’enseignant jusqu’à « l’Homme impossible » devenu la cible des média. Ainsi, ces mots que Bourdieu avait confiés à l’auteur, peu de temps avant de mourir : « Plus je vieillis, plus je m’indigne. » (p. 143) pour souligner la persistance de sa révolte, en dépit des ans et de la réussite, face aux trahisons individuelles et institutionnelles, aux mensonges bienséants, ou aux silences intéressés. « Devant certains scandales du monde, qu’ils soient économiques, sociaux ou médiatico-politiques, il ne pouvait que s’indigner ! » Alain
Garrigou ajoute : « ce n’était pas l’hubris qui menait ses recherches ou ses engagements » mais bien une protestation lucide contre les impostures du monde, les humiliations des faibles, les réserves ou les neutralités des médiocres (cf. La Misère du monde, 1993).

L’article de Jean Lallot (p. 25), lui, retrace le parcours du professeur de lycée qu’a été Bourdieu, la manière dont il parvint à initier des potaches de Philo Lettres-Math Élem, un peu chahuteurs, à l’histoire de l’art, aux visages et corps déformés de Modigliani, Picasso, Braque ou Van Gogh. Comment cet enseignant chaleureux, dont ils ignoraient les nom et prénom, mais qui signait « P.B. » devint-il « Pablo » ? L’auteur ne s’en souvient pas. Ce qui lui reste de ce professeur admiré, c’est surtout l’absence de condescendance, les signes d’encouragement et de soutien avec lesquels il savait toujours les inciter à se perfectionner, à enrichir leurs travaux d’aspects nouveaux et remarquables. « Héritier » ou bon élève, chacun accédait progressivement à une exigence personnelle plus aiguë, à un désir de culture dénué de toute étroitesse ou dureté.

Alors précisément, « l’excellence s’enseigne-t-elle ? » (p. 31). À cette question posée par Gérard Ville, reprenant l’une des interventions de Bourdieu, chacun des deux répond « ce n’est pas là un domaine réservé, séparé par une ligne magique. Rien n’est donné, rien n’est interdit ». À l’élève de jouer selon ses capacités, au professeur de désacraliser le rituel de la dissertation, d’en démonter les mécanismes et fonctionnement pour livrer tous les moyens de réussir (p. 32-33). À l’élève de s’exercer quotidiennement à l’écriture, seul ou en équipe, à lui de rédiger quelques lignes sur n’importe quel sujet, puis d’en enlever les clichés, naïvetés, redites ou pensée confuse qui en grèvent ou paralysent le sens. À lui encore, accompagné de son enseignant, « d’apprendre à mettre en perspective une notion, une idée, et ce de multiples façons, avec des références constantes à la poésie ou l’expérience quotidienne, la science, la peinture, la musique... ».

La suite de l’ouvrage (p. 265), nous apprend que Pierre Bourdieu était aussi un étonnant entraîneur, conseillant et dirigeant thèses, recherches, carrières, revues, collections françaises ou étrangères par le biais de son secrétariat, de ses équipes, d’appels téléphoniques spontanés ou d’entretiens. C’était là sans doute sa façon de servir la Culture et de façonner « l’intellectuel multiple ».


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